Barrages et seuils, protection indirecte par le génie civil
Depuis les années 1860, des services de l’État travaillent à sécuriser les habitats naturels et humains menacés par l’érosion et les torrents en montagne. Des techniques de génie civil sont mises en œuvre afin de de stabiliser les lits des torrents et de consolider les berges.
Le barrage dont il est question ici est celui « de correction torrentielle ». Il n’a pas pour vocation de retenir l’eau mais de stabiliser le lit du torrent, de consolider les versants, de réduire les pentes du lit du torrent, de retenir les sédiments et d’en réguler le transport.
Constituant des points fixes difficilement érodables, à la manière d’un affleurement rocheux formant une cascade, les barrages jouent un rôle de stabilisation de long terme du lit et des versants en freinant l’érosion qui tend à transporter les matériaux des sommets vers les plaines. Les atterrissements, zones de dépôt qui se forment à l’amont des barrages, sont plus larges et moins raides que les lits naturels, les rendant propices au ralentissement des écoulements et au dépôt temporaire des sédiments charriés et des laves torrentielles. L’effet cumulé de petits ralentissements et dépôts des crues et l’effet à grande échelle de diminution de l’érosion et de reprise de la végétation contribuent à atténuer l’intensité des phénomènes torrentiels. L’amélioration espérée et obtenue est graduelle dans l’espace et dans le temps.
Dans le jargon des spécialistes des torrents, le barrage et le seuil se différencient par la hauteur sous cuvette : plus de deux mètres pour le barrage et moins pour le seuil.
Les barrages et seuils peuvent être construits très en amont dans le lit du torrent, jusque dans le bassin de réception (où se forme celui-ci). Ils ont alors pour fonction de stabiliser les ravines, de réduire la pente et de retenir des sédiments dans les têtes des bassins versants. Les barrages peuvent alors être rustiques en pierre sèche, ils sont là pour empêcher les affouillements (creusement du lit du torrent) et les transports de pierres entraînées par la gravité d’une pente très forte à la faveur des ruissellements associés aux orages.
Barrages rustiques en pierre sèche
Ces barrages rustiques sont plus ou moins espacés selon la pente (plus rapprochés en cas de pente supérieure à 30 %). Ils sont là pour s’opposer au creusement du profil en long (de la pente) et servent aussi, grâce à leur couronnement (face supérieure du barrage), à guider l’eau et à l’éloigner du pied des berges.
Les opérations visant la stabilisation des versants ont été menées parfois très haut dans les bassins, dans les versants raides et érodables, à la source même des sédiments qui dévalaient précédemment les montagnes jusqu’au cône de déjection (arrivée du torrent dans la plaine).
Au XIXe siècle, des dizaines de barrages latéraux et transversaux ont été construits sur le lit de torrents dangereux comme le Bourget (vingt barrages fin XIXe siècle), le Riou Bourdoux et le Faucon.
Sur ces grands barrages, on voit des pertuis : ouvertures qui permettent le passage de l’eau tout en retenant les roches (grâce à des perches ou barres verticales) et vont peu à peu élever le niveau du lit du torrent. Des radiers (pavages maçonnés) sont souvent ajoutés au pied des barrages afin d’en éviter l’affouillement (creusement).
L’atterrissement est la zone en amont d’un barrage où les matériaux retenus rehaussent le lit du torrent. Ce sont des graviers, du sable ou des blocs. Ils vont finir par former une plage convexe moins raide que la pente naturelle (pente de compensation). À terme, si la végétation ne le fait pas spontanément, il faudra fixer cette plage de dépôt. Cela peut se faire par la mise en place d’un chenal central (comme dans le cas du barrage du Bourget).
Les perrés
Dans le cas où les pentes sont abruptes et les berges stables, il est possible de remplacer une succession rapprochée de barrages, très coûteuse, par un perré. C’est une sorte de pavage, fait de gros blocs soigneusement mis en place de manière à couvrir les matériaux sous-jacents, érodables, et de former une cuvette livrant passage à l’eau et aux matériaux issus de l’amont. Les matériaux de construction doivent être trouvés sur place et reposés sur un sol préalablement stabilisé (par exemple, par un barrage au pied).
Et aujourd'hui à INRAE
Sur le site d’Aix-en-Provence, au sein de l’unité mixte de recherche RECOVER (Risques, écosystèmes, vulnérabilité, environnement, résilience), l’équipe G2DR fournit aux autorités publiques un travail d’expertise sur les ouvrages hydrauliques tels que les barrages ou les digues. L’équipe participe également à la diffusion d’informations et connaissances via le Wikibardigue (accessible sur le site du ministère chargé de l’environnement).
Sur le site de Lyon-Grenoble, au sein de l’unité mixte de recherche IGE (Institut des Géosciences de l’Environnement), les chercheurs spécialistes des processus torrentiels et des ouvrages de protection mènent des travaux contribuant à mieux comprendre l’origine et le fonctionnement des crues et laves torrentielles et à concevoir et entretenir des mesures de protections plus efficaces. Ces recherches sont menées en collaboration étroite avec le service RTM (Restauration des Terrains de Montagne) de l’Office National des Forêts qui a en charge la gestion des dizaines de milliers de barrages de correction torrentielle construits depuis 1860.
Sources bibliographiques
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Texte rédigé par Pascale Hénaut (INRAE-DipSO).
Merci à Guillaume Piton (Univ. Grenoble Alpes, INRAE, IGE) pour sa relecture.
Pour citer ce texte : Focus Agate : Barrages et seuils, protection indirecte par le génie civil, Pascale Hénaut (INRAE-DipSO), juillet 2024. https://agate.inrae.fr/agate/fr/content/focus