Éteindre un torrent

Depuis les années 1860, des services de l’État travaillent à sécuriser les habitats naturels et humains menacés par l’érosion et les torrents en montagne. Des techniques de génie civil et de génie biologique sont utilisées. Elles vont des travaux de maçonnerie à l’enherbement, jusqu’au reboisement et, ceci, de haut en bas des torrents.

Mais que signifie « éteindre un torrent » ?

Un torrent est un cours d’eau qui a tendance à transporter beaucoup de matériaux solides (sédiment, bois) pendant ses crues, créant ainsi plus de dommages qu’un ruisseau inondant son voisinage principalement avec de l’eau. C’est la pente des torrents qui leur permet de transporter les matériaux rendus disponibles par la géologie et mobilisé à l’occasion des crues. Si ses berges s’érodent et qu’un chenal concentre les écoulements, les dangers de crues torrentielles ou de laves torrentielles sont majeurs.

Les services de la restauration des terrains en montagne (RTM) ont travaillé depuis 1860 à réduire ces aléas* et donc les sinistres subis pour les habitants des zones montagneuses.

Éteindre un torrent, c’est réduire la production et le transport de sédiment dès la source, en têtes de bassin versant.

Bassin d’un torrent, source : infographie in: « Risques naturels en montagne », Florence Naaim et Didier Richard (Coord. Sc) Quae 2015 (https://www.quae.com/produit/1328/9782759223886/les-risques-naturels-en-montagne)

Les ingénieurs et les forestiers de l’École nationale des Eaux et Forêts ont lancé de grands travaux sur plus de mille torrents, en se basant d’abord sur les travaux d’ingénieurs des Ponts et Chaussées tels que Jean-Antoine Fabre et Alexandre Surell. Déjà en 1841, ce dernier avait préconisé le lancement d’une campagne très ambitieuse de reboisement des montagnes afin de restaurer l’état très dégradé de la végétation, seule opération à même d’éteindre les torrents. Ces reboisements seraient facilités par la construction de barrages de correction torrentielle permettant la stabilisation des berges, au moins le temps que la végétation parvienne à maturité.


* Aléa : phénomène plus ou moins probable sur un espace donné, caractérisé par sa localisation, son intensité, son ampleur, sa fréquence et le degré de probabilité qui lui est associé. Il peut : (i) être « naturel » (inondation, séisme, éruption volcanique, cyclone, avalanche, etc.) ; (ii) être lié aux technologies (explosions d’usine, naufrages de pétrolier, etc.) ; (iii) relever de la violence des rapports sociaux (guerres, terrorisme, etc.) ; ou bien encore (iv) provenir d’autres espèces vivantes (épidémies). Source : Caquet et al.(2021).


 

Les familles de torrents

Mais les torrents n’ont pas tous les mêmes caractéristiques :

  • les torrents à affouillement sont alimentés par des processus de ravinement, ils sont traités avec un mélange de génie civil et de génie biologique ;
  • les torrents à clappes sont alimentés par des éboulements issus des falaises et sont des zones impossibles à reboiser ;
  • les torrents glaciaires, dont le haut du bassin est occupé par des moraines et glaciers, sont trop élevés pour être reboisés.

Ces deux derniers types de torrents « à éteindre » sont donc travaillés par des barrages de rétention et de stabilisation et des ouvrages d’art comme les tunnels permettant de détourner les écoulements des principales sources de sédiment que sont les glissements de terrain et les éboulements rocheux.

Génie civil et biologique

Les trois grandes familles d’ouvrages ou de d’aménagement mises en œuvre sont :

  • les barrages et seuils, ouvrages de génie civil situé généralement en tête de bassin et permettant une protection indirecte en luttant contre l’érosion à la source ;
  • les barrages vivants (clayonnages et fascinage), l’enherbement et le reboisement, ouvrages de génie biologique, eux aussi permettant une protection indirecte ;
  • les digues, épis, curage de lit et canaux, ouvrages de génie civil situés à proximité des bâtiments, réseaux et cultures, et permettant une protection directe en guidant et détournant les écoulements des zones vulnérables.

Et aujourd’hui à INRAE ?

L’observatoire Draix-Bléone est situé dans les Alpes de Haute-Provence, dans la vallée de la Bléone à l’amont de Digne.

Cet observatoire a été mis en place en 1983 par Irstea (aujourd’hui INRAE) pour étudier les processus hydrologiques et érosifs dans des bassins versants de montagne développés sur des marnes noires du Jurassique très sensibles à l’érosion, peu végétalisées et ravinées (aussi appelées les « Terres Noires »).

Certaines des questions scientifiques abordées concernent les flux d’eau et leur chemin dans les bassins, le développement de méthodes géophysiques innovantes pour les mesurer, les processus d’érosion et de transport des sédiments sur les versants et dans les lits.

Sources bibliographiques

Demontzey, P. (1882). Traité pratique du reboisement et du gazonnement des montagnes. Rothschild J. (ed.), 528 p.

Demontzey, P. (1882). Le reboisement des montagnes. La nature, n°496. p.151-155, p. 182-186, p.215-218, p.260-263.  

Bénardeau, F., & Cuny, E. (1889). La science forestière illustrée. Ministère de l'agriculture service central, Fascicule 1, Partie 4.

Thiéry, E. (1891). Restauration des montagnes, correction des torrents, reboisement. Baudry (Paris), 413 p.

Bernard, C. (1927). Cours de restauration des montagnes. ENEF. 1er fascicule, texte et planches. (Document disponible hiver 2023-2024)

Bernard, C. (1927). Cours de restauration des montagnes. ENEF. 2e fascicule, planches. (Document disponible hiver 2023-2024)

Clave, A. (1969). Rapport VI.3. Le rôle de la restauration des terrains en montagne dans la protection contre les inondations, in La prévision des crues et la protection contre les inondations. Dixièmes journées de l'hydraulique, Paris, 5, 6 et 7 juin 1968. Tome 6,.

Mathys, N., Brochot, S., & Meunier, M. (1996). L’érosion des Terres Noires dans les Alpes du sud: contribution à l’estimation des valeurs annuelles moyennes (bassins versants expérimentaux de Draix, Alpes de Haute Provence, France). Revue de géographie alpine, 84(2), 17-27.

Labonne, S., Rey, F., Girel, J., Evette, A. (2007). Historique des techniques de génie biologique appliquées aux cours d’eau. Ingénieries eau-agriculture-territoires, 52, 37-48. 

Cosandey, C., Lavabre, J., Martin, C., & Mathys, N. (2002) Conséquences de la forêt méditerranéenne sur les écoulements de crue Synthèse des recherches menées en FranceLa Houille Blanche, 88:3, 38-42.

Piton, G., Carladous, S., Recking, A., Tacnet, J. M., Liebault, F., Kuss, D., Queffelean, Y., & Marco, O. (2019). Fonctions des barrages de correction torrentielle, Cybergeo: European Journal of Geography, Environnement, Nature, Paysage, document 896, DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.32190

Piton, G., Carladous, S., Marco, O., Richard, D., Liébault, F. et al. (2019). Usage des ouvrages de correction torrentielle et plages de dépôt : origine, état des lieux, perspectives. La Houille Blanche - Revue internationale de l’eau, 2019 (1), 56-67. 

Piton, G. (2018, février 1er). Des barrages sur les torrents, pourquoi ? Encyclopédie de l’environnement.


Texte rédigé par Pascale Hénaut (INRAE-DipSO).

Merci à Guillaume Piton (Univ. Grenoble Alpes, INRAE, IGE) pour sa relecture.


Pour citer ce texte : Focus Agate : Éteindre les torrents, Pascale Hénaut (INRAE-DipSO), mai 2024. https://agate.inrae.fr/agate/fr/content/focus

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