Les collections de la Villa Thuret
Sur le cap d’Antibes, la villa d’un érudit passionné par les expériences botaniques présente un jardin d’acclimatation aux espèces variées et remarquables. Gustave Thuret, au-delà de ses recherches sur les algues, a fondé l’un des premiers jardins botaniques et d’acclimatation de la côte d’Azur et rassemblé une riche bibliothèque, dont les titres anciens sur les flores, les champignons, les arbres...
Un homme
Gustave-Adolphe Thuret né en 1817 et décédé en 1875, issu d’une famille aisée, est licencié en droit. Il découvre la botanique et se passionne pour l’algologie, sous l’égide de Joseph Decaisne, botaniste au Muséum National d’Histoire Naturelle.
Gustave Thuret devient un spécialiste de la reproduction des algues qu’il étudiera avec passion pendant trente ans. Il réalise ses études avec un microscope.
Gustave Thuret se lie d’amitié avec le docteur Édouard Bornet (1828-1911) plus intéressé par la botanique que par la médecine et travaillera avec lui jusqu’à la fin de ses jours, sur les algues puis les plantes à fleurs. Leur œuvre commune, « Notes algologiques : recueil d'observations sur les algues » est publié par Édouard Bornet après le décès de Gustave Thuret. L’ouvrage est illustré par des lithographies réalisées par Alfred Riocreux à partir de leurs dessins d’observation.
Par la suite, les deux hommes s’installent dans le Sud de la France pour profiter d’une météo plus clémente et plus adaptée à la santé altérée par les graves rhumatismes de Gustave Thuret.
Un jardin botanique et d'acclimatation
L’installation à Antibes en 1857 offre l'opportunité de créer un véritable laboratoire de recherche privé pour continuer à étudier les algues, notamment celles de la Méditerranée, examiner sous un climat propice les plantes introduites de nombreux pays, et analyser la flore indigène méditerranéenne.
Cette résidence devient un jardin à l’anglaise, à la mode dans la seconde moitié du XIXe siècle, se substituant aux champs de blé et de vignes, bordées d’oliviers. Gustave Thuret et son ami Édouard Bornet vont alors lancer de grands travaux d’horticulture, inédits dans la région.
Le jardin de la villa Thuret se partage en deux espaces : d’un côté le jardin d’acclimatation avec les collections botaniques et de l’autre, le dispositif d’introduction et de production de nouvelles espèces avec la graineterie.
Un long travail commence alors, parsemé de difficultés. En effet, G. Thuret et E. Bornet doivent tout apprendre sur l'introduction d'espèces souvent originaires des antipodes. Les jeunes plants souffrent de la chaleur estivale et du gel hivernal. Mais une fois que certains arbres comme les pins d'Alep, les pins parasols et les chênes verts atteignent une taille suffisante, ils fournissent un abri aux plantes en pot ou semées, plantées au milieu d'eux. À partir de ce moment, les succès sont alors plus nombreux.
Les deux hommes participaient activement de par le monde à des réseaux d’échange de graines avec le muséum d’histoire naturelle ou d'autres institutions et jardins botaniques. Trois mille espèces sont ainsi introduites dans le jardin. Des travaux d’hybridation seront menés jusqu’en 1875 par Édouard Bornet.
Ce lieu devient ainsi une destination très appréciée des botanistes de toute l’Europe, ainsi que des voyageurs, diplomates et artistes.
On peut se persuader qu’on est entré dans le paradis des poètes… Pas une plante qui souffre, pas un arbre mutilé, pas une fortification, pas une enceinte, pas une cabane, pas une barque, aucun souvenir de l’effort humain, de l’humaine misère ni de l’humaine défiance. Les arbres de tous les climats semblent s’être donnés rendez-vous d’eux-mêmes sur ce tertre privilégié pour l’enfermer dans une fraîche couronne, et ne laisser apparaître à ceux qui l’habitent que les régions supérieures où semblent régner l’incommensurable et l’inaccessible.
(lettres d’un voyageur à propos de botanique, de George Sand à Auguste Tourangin, Revue des deux mondes. 38° année, seconde période. Tome 76. Juillet 1868, p.482)
Cette activité se poursuit jusqu’après la mort de Gustave Thuret et l'acquisition du jardin et de sa villa par l'État sous la tutelle du Ministère de l'Instruction Publique, des Cultes et des Beaux-Arts. C'est ensuite Charles Naudin, un autre éminent savant de son siècle (et précurseur de la biologie contemporaine avec ses travaux sur la théorie de l’évolution et l’hérédité), qui va reprendre la direction de la villa et de son jardin de 1878 à 1899. Il va y acclimater et étudier avec succès de nombreux eucalyptus, alimenter l’herbier déjà initié par Gustave Thuret et Édouard Bornet et publier le Manuel de l’acclimateur.
En 1927, le financement et l'entretien de la Villa Thuret sont transférés au Mministère de l'Agriculture et le centre de recherches agronomiques de Provence est créé à la Villa Thuret. Des stations de physique et de météorologie agricole y sont transférées en 1928. S'y ajouteront des stations de zoologie, d'agronomie, de physiologie végétale et de pathologie végétale.
En 1946, à la création de l'INRA (Institut National de Recherche en Agronomique), la Villa Thuret devient station de recherche en botanique et pathologie végétale et sera intégrée formellement en 1964 à l'INRA.
Une bibliothèque
Lorsque Gustave Thuret s’installe au cap d’Antibes pour continuer ses travaux de recherche, il commence à rassembler la documentation nécessaire à ses recherches scientifiques.
À sa mort en 1875, ce fonds contenant initialement trois-cent-cinquante-six volumes, sera légué à son assistant Edouard Bornet qui en fera don à son tour à la Villa Thuret.
À partir de 2010, un projet de valorisation des ouvrages anciens se met en place. Avec le soutien de la Direction Information Scientifique et Technique de l’INRA, située à Versailles, un partenariat est créé avec la Bibliothèque Nationale de France afin de numériser des ouvrages et périodiques anciens.
La bibliothèque occupe la plus grande pièce de la Villa Thuret. Sur cent-soixante mètres linéaires de rayonnages est rassemblé un ensemble de documents anciens spécialisés principalement autour des plantes : monographies de botanique, flores et florules, biologie végétale, horticulture, arboriculture, espèces végétales exotiques et acclimatation. La collection d’ouvrages est répartie de façon équivalente entre 1850 et nos jours.
Une centaine d’ouvrages datent de la première moitié du 19e siècle. La bibliothèque comprend également de nombreux documents concernant l’étude des champignons et des algues. Au total, il s’agit de 3 608 volumes répertoriés correspondant à 1 311 titres (1 767 volumes anciens et 1 707 périodiques). À ce fonds documentaire vient s’ajouter des correspondances, des archives et des tirés-à-part.
Et aurjoud'hui à INRAE
Les collections de la Villa Thuret continuent d’être caractérisées et valorisées par l’Unité Éxpérimentale, qu’il s’agisse des collections vivantes (introduction de nouvelles espèces chaque année, visite des collections au public, identification taxonomique) ou des collections non- vivantes.
Après la numérisation d’une partie du fonds documentaire, une partie de l’herbier historique a été numérisé en 2018. Les 75 000 parts de cet herbier constitué par Gustave Thuret et ses successeurs sont visibles sur la plateforme RécolNat. La recherche de spécimens « types » qui vient de débuter montre que cet herbier présente non- seulement un intérêt patrimonial, mais également un intérêt scientifique.
Le projet de l’unité s’oriente sur la thématique du changement global avec ses trois composantes, à savoir le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et les invasions biologiques. L’objectif est de pouvoir conduire des activités d’expérimentation et de recherche mais aussi de développer la médiation scientifique ou plus largement des actions de science avec et pour la société. Les collections historiques et actuelles sont donc des pièces maîtresses de tout premier ordre pour mener des travaux et actions sur ces trois volets du changement global.
Sources bibliographiques
Bornet, É. (1876). Notice biographique sur M. Gustave-Adolphe Thuret.
Delorme, S., & Ducatillion, C. (2017). Le Sentier des arbres remarquables. Inra.
Ducatillion, C. (2013, décembre 10). L’art de l’acclimatation : Le patrimoine de la Villa Thuret entre dans Gallica. Le blog de Gallica. https://gallica.bnf.fr/blog/10122013/lart-de-lacclimatation-le-patrimoine-de-la-villa-thuret-entre-dans-gallica?mode=desktop
Poirault, G. (1931). Livret guide du visiteur au jardin Thuret. F. Robaudy.
Texte rédigé par Gilles Arbiol (INRAE - UE Villa Thuret), Gildas Gâteblé (INRAE - UE Villa Thuret), Pascale Hénaut (INRAE - DIpSO) et Valérie Henri (INRAE - DipSO)
Pour citer ce texte : Focus les collections de la Villa Thuret, Gilles Arbiol, Gildas Gâteblé, Pascale Hénaut, Valérie Henri (INRAE), septembre 2024. https://agate.inrae.fr/agate/fr/content/focus