Nommer mille fois cette merveille qu’est… la poire

Laquelle préférez-vous ? La Duchesse d’Angoulême ou la Crottée ? La Frangipane, la Fusée, la Culotte de Suisse ou la Fondante des Bois ? L’exotique ou l’insolite, la rustique ou l’aristocratique ? La romantique ? Promenons-nous dans Le Jardin fruitier du Muséum !

Un voyage dans les mots qui nous met l’eau à la bouche

En 1870, Joseph Decaisne publie une volumineuse collection intitulée Le Jardin fruitier du Muséum. Le sous-titre est savoureux : « ou Iconographie de toutes les espèces et variétés d’arbres fruitiers cultivés dans cet établissement, avec leur description, leur histoire, leur synonymie, etc. ». On y apprend, avec luxe détails, anecdotes historiques, ou encore affaires de goût au sens propre, à nommer mille fois cette merveille qu’est la poire, certes bonne ou mauvaise, selon les humeurs et la science descriptive de l’époque, incomparable.

De l’Amadotte à l’Amanlis…

Où l’on apprend que la variété « Amadotte est plate, jaune, lice, sèche et musquée, ainsi appelée par l’arbre qui fut trouvé en Bourgogne, chez Dame Oudotte (avec un jeu de mot), dont le bois sauvage estoit tout épineux ». Son origine populaire ne remonte hélas pas la notation générale de ce catalogue unique : « Fruit d’automne, à queue courbée […] chair ferme, presque cassante, peu sapide ». Tandis que la P. Amanlis qui la suit dans le volume consulté, apparaît bien plus agréable « à chair très fine, fondante, sucrée, très agréable ». Il est vrai qu’elle a un « œil » assez suggestif et joliment écrit « presque à fleur ». Mais qu’est ce que cet œil ? Il s’agit tout bonnement du « côté opposé au pédoncule, des débris de la fleur dont on voit encore souvent les sépales ». Au passage l’appellation « ombilic » ou « cul » désigne exactement la même chose !

En passant par les exotiques Angora et Dix…

La poire d’Angora provient de l’actuelle Turquie : M. J.P. de Tournefort, célèbre botaniste français de la fin du XVIIe siècle, l’observe pour la première fois en partant d’Angora (d’où son nom) pour Brousse, localité de ce pays : « Le ruisseau du Beizabar [dans une vallée assez resserrée à 850 mètres d’altitude] se jette dans l’Aïala après avoir fait moudre quelques moulins et porté la fertilité dans plusieurs campagnes partagées en fruitiers et en potagers. C’est de là que viennent ces excellentes poires que l’on vend à Constantinople sous le nom de poire d’Angora ». Pour la petite histoire, un certain M. Léon Leclerc, ancien député de la Mayenne, adresse au président de l’Académie des Sciences de l’Institut, le 15 janvier 1833, une lettre où il explique tout l’intérêt de cette variété inconnue en France et le fait qu’il pourra en ramener un échantillon dans notre pays (avec un pommier), grâce à un diplomate sur place fort « zélé », échantillon qu’il considérera alors comme un véritable trésor… La P. Dix, quant à elle est originaire des États-Unis, selon ce qu’en a recueilli M. Decaisne en 1854 : « Cette poire a été désignée sous le nom de Lewis Pear ou Poire Louis, qui est bien différente [du nom d’origine]. Ce n’est que dans ces derniers temps, et par suite de renseignements que nous ont envoyés nos correspondants des États-Unis, que nous avons connu le vrai nom de cette excellente poire, dont l’arbre mère se trouve dans le jardin de Mme Dix, à Boston ».

Dessin de Poire d'Angora (Le Jardin fruitier du Muséum - 1871-1872).

Les insolites et les campagnardes

Il y a aussi les variétés aux noms insolites, tels la P. Bon chrétien ordinaire, la P. d’Oeuf, la P. Cent couronnes, la P. Crottée, la P. Bergamote, la P. Culotte de Suisse, la P. Callebasse, ou encore la P. Fusée, dont on comprend bien pour ces dernières l’identification à la forme même du fruit, ou à sa couleur. Mais cette belle forme ne donne pas forcément une bonne poire, c’est le cas de la Fusée cataloguée de « fruit à compote ou propre à faire des poires tapées ». La P. Crottée tire son nom de « marques tachées arrondies ou frangées, noires, squammeuses, dures et gercées qui ne la favorisent pas » (étant même appelée parfois Galeuse), tandis que la P. Frangipane à l’inverse, est appréciée pour son goût en rapport avec ce dessert. Quant à l’appellation des nombreuses P. Beurré, formant un groupe autonome, elle tire son origine de leurs textures, qui « fondent comme du beurre dans la bouche… ». Notez que la P. de Baratte a une origine intéressante en lien avec le beurre normand...

Dessin de Poire Crottée (Le Jardin fruitier du Muséum, 1871-1872).

Noms de lieux ou de personnes

Également, ne manquent pas les variétés se rapportant à des noms de lieux, ou de personnes illustres ou non. Ainsi pour la P. Duchesse d’Angoulême, la P. Frédéric de Wurtemberg (Prince de la Renaissance), la P. Archiduc Charles (souverain bien connu des Belges), la P. Comte de Flandre, la P. de Fontenay (Vendée) ou de Nantes, d’Amboise, d’Auch, encore la P. Bonne d’Ezée (Indre et Loire) ou bien d’autres...

La P. Epine du mas quant à elle, « est originaire et réellement indigène du pays [limousin] ; le sauvageon qui lui a donné naissance existe encore dans la forêt de Rochechouart, elle tire son nom d’un village, Le Mas, voisin de cette forêt. Sa note générale est très bonne, puisqu’« il s’agit d’un très bon fruit, qui se recommande en outre pour sa forme agréable et son beau coloris »… Il faudrait encore évoquer les P. d’Albret, Alexandrine Douillard, Graslin, St Michel Archange ou encore Conseiller à la cour...

Dessin de Poire d'Auch (Le Jardin fruitier du Muséum, 1871-1872).

Dessin de Poire de Fontenay (Le Jardin fruitier du Muséum, 1871-1872).

Les romantiques

Enfin il est trop tentant d’ évoquer ici une dernière catégorie poétique ou romantique : La Fin or de septembre se distingue particulièrement par son aspect bicolore marqué : pour M. H.L. Duhamel du Monceau, un des plus grands agronomes et botanistes français du XVIIIe siècle : « Sa peau est lisse, unie d’un vert gai du côté de l’ombre, lavée de rouge, parsemée comme de marbrures du côté du soleil. Sa chair est blanche, beurrée, fine ». La P. Fondante des bois est aussi attirante au regard, mais elle semble avoir toutefois son revers au moment de sa dégustation : « j’ai dégusté ce fruit trop tard pour le bien apprécier » note un de ses détracteurs. Quant à la Brindamour, voilà un bien joli nom, n’est-ce pas ?

Dessin de Poire Fin Or de Septembre (Le Jardin fruitier du Muséum, 1871-1872).

Quel lien avec INRAE ?

La poire Angélys est née en l’an 2000 au centre d’INRAE d’Angers, après plusieurs décennies de recherche en création variétale (premier croisement réalisé en 1963), issue d’une hybridation entre les variétés Doyenné du Comice et Doyenné d’Hiver. C’est une remarquable poire d’hiver pour ses qualités gustatives peu communes et parfumée, alliées à une très bonne capacité de conservation. Elle est aujourd’hui commercialisée dans toute la France, et cultivée plus particulièrement dans bon nombre d’exploitations arboricoles de l’Ouest de la France, où elle vient remplacer la variété Passe-Crassane, décimée par la maladie du Feu bactérien. Elle vient récemment de changer de nom pour se nommer désormais « Angys ».

Pour en savoir plus : Bulletin interne de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), année 2000, p. 3-4.

Cette œuvre conservée au centre d’ INRAE d’Angers (T. 1 à 6), fait partie d’un ensemble de 9 tomes sur la culture fruitière du Muséum national d’histoire naturelle, édité en 1870 et « publié sous les auspices de M. le Ministre de l'agriculture et du commerce ». L’ensemble des illustrations de ce focus sont tirées du tome 4. Les six premiers tomes sont consacrés à la description des variétés de poires, les tomes 7 à 9 détaillent les pêches, prunes, abricots et fraises.


Texte rédigé par Olivier Dupré (INRAE, DipSO).


Pour citer ce texte : Focus Agate : Nommer mille fois cette merveille qu’est… la poire, Olivier Dupré (INRAE-DIPSO), avril 2023, https://agate.inrae.fr/agate/fr/content/focus

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